Le corps de l'autre

jeudi 19 janvier 2017

C’est toujours sa peau, tendue doucement le long de son corps chaud, de ce corps parfois si loin et parfois trop proche. C’est toujours la même peau. Celle que j’ai aimé embrasser, palper, calfeutrer, pincer. Seulement, depuis quelques temps, mon rapport au corps de l’amoureux a changé. Pourtant si à l’aise au début, je me retrouve à, parfois, me sentir gênée, à reprocher à son corps de ne pas être autrement. Je lui reproche de ne pas correspondre.
Et cette pensée me culpabilise, j’ai malgré moi un peu honte.
Le choc de s’apercevoir qu’à un instant, brièvement, sans prévenir, on voudrait que l’autre soit différent. Qu’il se façonne aux projections de notre propre esprit. Et ce corps pourtant beau, se retrouve accusé. Ce à quoi je me félicitais de ne pas être soumise m’atteint finalement par un autre bout : le dictat du corps.
Je n’ai jamais été réellement mal dans mon corps. Mal dans ma peau, ça oui, longtemps, souvent, encore. Mal avec mon visage, aussi, cette partie si étrange du corps, cet ersatz social et fascinant de ce que nous sommes, condensé en des traits qui nous définissent avant que les autres n’aient pu nous découvrir. Mais mal dans le reste de mon corps, vis à vis de mon corps, beaucoup moins. Je ne le trouve pas parfait, je le pousse, je voudrais parfois couper certains bouts, en rajouter, je voudrais le bousculer, si peu, mais au fond, je le tolère bien, on s’entend plutôt bien lui et moi. Je me suis récemment retrouvée à dire à quelqu’un : mon corps, je ne l’aime pas plus que je ne l’aime pas. Et c’est peut-être ça le problème.
L’air de rien, je le regarde, je le définis et je le compare. Je le compare à celui des autres femmes, aux autres imaginaires. A la façon dont les autres femmes se sentent dans leur corps. Je compare les corps, je compare ce qu’ils dégagent de la personne qui les investit. Je compare les féminités. Qu’est-ce que c’est être bien dans son corps finalement ? Dans son corps de femme ? Puis la question devient : cette autre femme ne dégage-t-elle pas quelque chose de plus, un infiniment plus ? Et je me sens comme mal dégrossie, je ressens mes os et mes muscles comme ceux d’une étrangère. Je me trouve gauche, le cœur comme parti à droite et l’esprit confus. Rarement pleinement à l’aise dans mes vêtements, brièvement satisfaite puis vite complexée de mes choix, de ce dont j’ai l’air. Ou, plus précisément, self-conscious comme disent les anglais. Consciente de moi-même. Les yeux ouverts sur mon corps, sur la façon dont il me véhicule. Ce me, ce moi si vaporeux et instable, que je définis si mal et qui m’échappe. Ce n’est pas tant que j’aimerais que mon corps soit différent, même s’il m’arrive parfois de le souhaiter, c’est plus que je ne sais pas toujours comment embrasser ce qu’il dégage de moi. Ni ce que je dégage à travers mon corps. Et cette problématique semble finement liée à celle d’embrasser qui je suis. A celle de ne pas me trouver moins bien. A celle de savoir exister par moi-même. Et alors qu’il ne s’agit au fond pourtant pas de correspondre à une définition de LA femme, surtout pas, parfois j’y tends. Je m’y trompe.
« On ne naît pas femme, on le devient ». Oui, d’accord… Une réflexion que j’approche entre autre comme : ne nous laissons pas construire par la société, construisons-nous par nous-même. Et qui m’amène à me dire, qu’au fond, il ne s’agit peut-être pas tant d’apprendre à se construire mais, plutôt, d’apprendre à se révéler. D’apprendre à se connaître. Est-ce qu’on devient soi-même ? Et si oui, comment ?
Moi pendant longtemps, je n’ai su fonctionner avec moi-même qu’à travers la comparaison aux autres. Et c’est encore tellement le cas. Pour beaucoup de choses, c’est aux autres femmes que je me compare. Leur façon d’être, qui devient aussi leur façon d’être bien dans leur corps. D’affirmer leurs choix, leur personnalité. Et c’est ce que j’appelle la féminité. Car même si les termes et la notion de genre, donc de féminité, sont largement bousculés et remis en question, nous sommes encore les produits de cette pensée que l’on tend à changer. Je m’y sens encore confrontée à cette notion de féminité. Et je me dis, mais si elle est à construire par soi-même cette féminité, cette façon d’être, est-ce que je la construis bien ? Est-ce que les autres ne la construisent pas mieux ? Qu’est-ce que je mets dans la recette ? Et si je dois apprendre à me connaître, en attendant d’y parvenir, je suis qui ?
Puis, je m’aperçois qu’en cherchant mes repères sur ma personne d’un côté, j’affirme de l’autre ceux dont a pu me gaver sur comment est censé être autrui. Cet autre, ce compagnon. Et la question du corps revient. A quoi son corps d’homme est censé ressembler. Il doit être musclé, parce que c’est un corps d’homme. Il doit être solide, parce que c’est un corps d’homme. Il doit être fort, parce que c’est un corps d’homme. Sournoisement, une partie de moi le confronte à une représentation achétypée de la virilité. En bousculant d’un côté les idées pour mieux me réaliser, j’essaie de bâtir un cadre rassurant de l’autre. Essayant de lâcher prise quant aux exigences infusées pendant des années à mon subconscient, je m’agrippe à celles le concernant. Je m’agrippe aux concepts. Je me crispe, je compare, je rejette. Si je ne me reconnais pas encore très bien alors l’autre, en contre partie, doit être un repère sans faille. Il doit correspondre à l’idée qu’on se fait d’un compagnon. Alors je soumets le corps aimé aux dictats. Par un effet miroir, je lui impose ce dont je peine à me libérer.
Le corps de l’autre semble devenir le bouc-émissaire de ma quête de personnelle.

Alors... quelques pistes pour cheminer

Peut-être s’agit-il d’accepter de passer par ce questionnement, par cette remise en question. Ne pas être dans le rejet de ce qu’il peut se passer à l’intérieur de nous. Ne pas non plus s’accrocher aux sensations contradictoires. Elles ne sont qu’impressions et sensations. Je respire et je me dis qu’au fond, ce n’est encore que l’occasion d’apprendre à mieux se connaître. Et qu’en ne me crispant pas, je n’en fais pas un problème.
Le dialogue aussi, toujours. S’autoriser à en parler avec cette belle personne qui investit ce corps quelque peu maltraité par mes pensées.
Avoir conscience que ce n’est pas tant le corps de l’autre le problème, que ce n’est pas l’autre mais qu’il s’agit plutôt d’une problématique liée à nous-même.
Et cheminer toujours, apprendre sur nous-même, même sur ce qui ne nous fait pas toujours plaisir. Même sur ces choses dont on pensait être au-dessus, comme on dit, mais que l’on découvre, un peu honteusement, quand même cachées quelque part. Réaliser que l’on intègre et ingère des schémas de pensée bien plus qu’on ne le souhaiterais… tout ça pour mieux s’en délester. 
Se donner l’espace pour se découvrir, faire l’expérience de la découverte.
Je ne voulais pas écrire cet article avant d’avoir pu prendre du recul mais je crois que c’est de l’écrire qui me permet, finalement, d’en prendre d’avantage. L’idée aussi de partager ses pensées avec vous…

ET VOUS, EST-CE QUE TOUT CELA VOUS PARLE ?

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