A sunday smile, souvenir d'Angleterre

mercredi 18 janvier 2017

Souvenir d'Angleterre : 17 février 2014
9h02. De longs rais de soleil s’impriment contre les rideaux ivoires et chauffent doucement ma chambre.
On parle souvent des matins où l’on n’a pas envie de se lever. Le pendant de « il y a des matins où on aurait mieux fait de ne pas se lever » n’existe pas. Il devrait. Parce que  ce dimanche matin faisait définitivement partie de ceux où l’on se réveille avec le sentiment que la journée va valoir le coup, que le monde des rêves n’a rien de mieux à nous offrir. Le soleil était exceptionnel, non pas seulement parce qu’il brillait haut et fort, dans un ciel sans nuage et d’un bleu complet mais tout simplement parce qu’il était là. Cela fait maintenant un mois qu’il pleut quasiment non-stop en Angleterre et nous essuyons une tempête depuis plus de deux semaines. En résumé : pluie, pluie et vent. Tout est gris, pâle et comme malade : mon moral aussi. Et puis…

Et puis le soleil a percé le gris des nuages, le vent les a enfin chassé et s’est apaisé en une brise douce comme un baume. J’avais prévu de sortir simplement pour acheter du lait puis de rentrer pour un petit-déjeuner dans ma petite cuisine éclairer par deux ampoules… Seulement, lorsque je suis sortie, après avoir claqué ma lourde porte en bois, j’ai été saisie par la pleine chaleur des rayons sur mon visage, s’allongeant contre mes paupières jusqu’au creux de mon cou. Je n’ai mis que deux secondes à me décider pour une balade au bord de la mer. J’ai dévalé les rues encore calmes du centre ville, les mains chargées d’un bon chocolat chaud à emporter et le casque sur les oreilles. J’aime toujours choisir la musique qui saura sublimer le moment sans l’envahir, c’est à la fois un défi et un plaisir. J’ai commencé doucement parDawn, une musique tirée de la bande originale du film Pride&Prejudice(Orgueil et préjugé) réalisé par Joe Wright.


Le soleil commençait a être déjà haut dans le ciel. Un soleil de printemps, encore timide et pâle mais qui chauffe et réchauffe lentement. La nature tout entière semblait avoir ouvert un de ses yeux et ronronner comme un gros chat. La musique, à la fois douce et entraînante dans son rythme ternaire, faisait fondre ce moment de poésie comme de la pâte d’amande dans la bouche d’un enfant, avec onctuosité.
J’ai escaladé l’esplanade jusqu’au bord de mer en hauteur. Ici, il n’y a ni sable ni plage, la terre se jette en gros rocs bruns dans la Manche, à la fois entière et brute, créant un bord de mer beau et émouvant dans sa franchise sans compromis. J’ai changé la musique et opté pour The return of the King, tiré de la bande originale du Seigneur des Anneaux, Le retour du roi. Pas besoin de signifier que j’adore cette trilogie.

Avant d’atteindre le tout bord de mer, il faut passer près d’un mémorial qui se dresse entre la ville et l’océan, entre vous et la nature. Un mémorial pour les personnes tombées au combat, tombées au fond des eaux pour des causes qui nous semblent aujourd’hui floues et quelque peu glacées dans les pages des manuels d’histoires.Voir ces longues listes de noms gravés dans un lourd métal incrusté dans le marbre, frappées de soleil  et que les enfants tripotent du bout de leurs petits doigts plein de gâteaux, ça créé toujours en moi une très forte émotion entourée d’un léger malaise.
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Il y a beaucoup de respect dans ce ressenti que mord faiblement une sorte de culpabilité de l’oubli. Je songe à ces personnes qui sont parties, à qui on a pris leurs rêves, leur avenir, je songe à ceux qui sont restés sur les berges à les attendre. Je songe à ceux qui sont morts, je songe à ceux qui ont prié dans la douleur, avant la mort, dans la peur, je songe à ceux qui sont revenus, le cœur et l’esprit en lambeaux -quand ce n’était pas le corps. Je songe aux cauchemars qui les ont hantés, je songe aux espoirs noyés sous la mer. Et je frissonne. Je frissonne dans l’horreur de l’injustice, dans le hasard terrible de la naissance. Je me sens à la fois redevable et et cruelle, comme si vivre après eux était un pêché ou une moquerie. Nous sommes là, heureux et miraculés. Nous sommes là. Les mémoriaux me rappellent cette courte chanson de Muse « Soldier’s poem » et ce livre de Philippe Besson, En l’absence des hommes. Et comment ne pas penser au Dormeur du Val de Rimbaud. Des œuvres que j’adore et dont je parlerai peut-être une autre fois.
Finalement, je suis arrivée sur le bord de mer, légèrement en aplomb. La vie m’a frappée tellement elle contrastait avec les sentiments qui m’avaient étreints le long du mémorial. Des familles, des amoureux, des amis, des cerfs volants et des chiens qui courraient partout comme des fous. Un dimanche matin plein de vie dans la bonne humeur du soleil. Je suis restée debout à respirer l’air iodé, à écouter les enfants rires… Je sais que je m’expose à la niaiserie en disant ça parce que je sais que la plupart du temps nous compatissons aux lignes douloureuses et nous moquons un peu des lignes heureuses. Parler du bonheur, des sentiments heureux et simples nous fait toujours sourire… et pas de la bonne façon. Mais j’assume et m’en repais.

J’ai changé de piste et choisi A sunday smile de Beirut. Parfait. C’était parfait. Le ciel bleu, le soleil, le bruits de la mer et cette vue immense qui s’enfuyait jusqu’au fond de l’horizon, derrière les vagues. Je me suis assise sur un banc, j’ai retiré mon manteau et me suis tranquillement reposée, alanguie dans la tiédeur réconfortante de cet instant volé à la pluie et à la déprime. Je suis restée deux heures, seule sur mon banc, baignée dans des minutes d’une plénitude et d’une félicité inouïe qui m’ont laissée repue de bien-être et légère comme jamais depuis de longues semaines maintenant. Peut-être même de longs mois.
J’ai eu l’insatiable envie  de lire du Marcel Proust et ce pour plusieurs raisons. D’abord pour une raison d’impression et de sensation parce que l’ambiance de ce bord de mer m’a fait penser à celle que l’on retrouve dans les pages du deuxième volume intitulé A l’ombre des jeunes filles en fleur. Avec ses badauds, ce soleil presque bleu tellement il se reflète dans la mer et parce que Dawnest la musique que j’avais l’habitude d’écouter pour accompagner ma lecture. Ensuite, parce que j’ai songé à ces quelques pages dans lesquelles le narrateur explique qu’il n’est profondément heureux qu’en lui même, dans des moments où il peut se retrouver et explorer les sentiments qui fleurissent chez lui. Des instants de solitude qui vous font étrangement vous sentir plus complet que lorsque vous pouvez être accompagnés. Un écho si juste, au diapason de ce qui se passait à l’intérieur de moi et qui, j’en suis certaine, résonne aussi en vous parfois.
Un moment plein dans la rondeur dorée de ce dimanche matin où tout m’a soudainement paru possible : aller mieux sur le long terme, accomplir des projets, en élaborer d’autres, publier des histoires, m’investir dans de nouvelles études, faire la paix avec les vieilles terreurs qu’engendrent mes regrets. Tout semblait naturel, évident, facile. Les choses avaient retrouvé une simplicité qu’il m’arrive trop souvent de torturer. 
Dear lord, voilà un moment qui me restera en mémoire pour un bon moment.

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